Actualité des spéléologues du GIPEK

Hommage au Précurseur …

 

 

Acticle rédigé par Benoit DECREUSE, Jean-Claude FRACHON, Bernard GEZE, Claude BILLUART & Pierre PETREQUIN & paru dans le CDS-Info-25 de 1999 

 

Le Pays Comtois

Extrait d’exploration souterraines en Franche Comté 1923, Introduction à « Les Gouffres »

Si les paysages du Jura franc-comtois sont moins imposants, moins grandioses que ceux des grandes chaînes, telles que le Causase, les Alpes ou les Pyrénées, ils ont, en revanche, un charme, une fraîcheur et une variété d’aspects qui ne se retrouvent nulle part ailleurs. Sur les croupes ondulées de la Haute-Chaîne jurassienne, des crêts blancs et abrupts de rocs calcaires émergent ça et là du sein de la masse vert sombre des sapins et des épicéas, dont le contraste fait ressortir plus vivement le vert printanier délicat, parfois presque jaune, des prairies et des pâturages, tandis qu’à l’automne, cette éternelle verdure sombre des résineux s’harmonise, d’une façon plus étrange encore, avec la gamme infiniment nuancée des tons jaunes et rouges des arbres à feuilles caduques. Les hauts sommets, plus dénudés, gris ou jaunâtres, conservent, pendant une très grande partie de l’année, des placages neigeux qui leur donnent un caractère presque alpestre ; leurs cimes constituent des belvédères d’où l’on découvre, sur la Plaine suisse et sur les Alpes, des horizons merveilleux. Nul pinceau ne saurait rendre les variations infinies de teintes que projette un beau coucher de soleil sur ce magnifique décor.

Des cluses étroites, aux flancs escarpés et au fond desquelles coulent de verts et limpides ruisseaux (1 ), traversent, perpendiculairement à leur direction, les chaînons plissés et les crêts qui bordent les combes. Par contre, parallèlement aux plis de la chaîne, dans des vallées plus largement ouvertes, les cours d’eau s’épanouissent parfois pour donner naissance à des lacs aux eaux transparentes et azurées, ou bien, d’autres fois, dessinent leurs méandres dans des dépressions marécageuses où croissent les tourbières, si curieuses par leur végétation et leur faune à affinités boréales. Il faut aussi parcourir cette haute région, en plein hiver, quand tous les ruisseaux, les étangs, les lacs sont revêtus d’une épaisse couche de glace, que les cascades les plus impétueuses sont transformées en stalactites de cristal et que les branches des sapins se brisent sous le blanc fardeau que les surcharge. Quel poète saura dépeindre la mélancolie intense du crépuscule tombant sur la montagne silencieuse, enfouie sous son blanc linceul ! Les chutes de neige sont parfois si abondantes qu’elles arrivent à faire disparaître les poteaux que les habitants placent de distance en distance pour repérer les chemins et les sentiers. Si la nuit est sombre et si un tourbillon, une poussée comme on dit dans le pays, s’élève, toute trace disparaît et l’on est alors obligé de  » sonner les cloches des villages, pour guider les pas de celui qui, à cette heure périlleuse, erre encore dans la campagne. Ah ! c’est une triste chose que d’entendre le son de ces cloches vibrant au sein de la nuit, à travers les sifflements de la tempête et les rafales du vent ! » (2)

La zone des Grands Plateaux présente un caractère bien différent. Les parties où affleure la roche calcaire compacte sont tantôt couvertes de bois, tantôt, au contraire,  transformées en pâturages rocheux dénudés ; elles sont criblées d’entonnoirs et de gouffres bien plus nombreux encore que dans la Haute-Chaîne et en général plus profonds ; elles sont parsemées de dépressions comparables aux dolines du Karst, et hachées de fissures que l’on désigne, dans le pays, sous le nom de  » Laizines ,, ou « Lazunes » qui rappellent les Lapiaz du Dévoluy et du Vercors. Les parties plus tendres (marnes et calcaires marneux) forment des combes peu profondes, recouvertes de prairies verdoyantes, et des côtes ondulées cultivées ou plus rarement boisées. De profondes vallées, véritables canyons rappelant ceux du Tarn, ont été creusées presque à pic sur une hauteur de 150 à 200 mètres, parfois davantage, par les cours d’eau les plus importants. Ainsi la vallée du Doubs, entre le Saut et Saint-Hippolyte, celles du Dessoubre, de la Rèverotte, du Cuisancin, de l’Audeux, et surtout celle de la Loue, présentent, en plusieurs points de leur parcours, de beaux exemples de ces canyons, entaillés dans des couches calcaires plus ou moins voisines de l’horizontale et se correspondant exactement d’une rive à l’autre.

Portrait de Eugène Fournier de F. MICHALSKI  paru dans l’article de Claude BILLUART (1971)

 

Quant aux ruisseaux plus modestes qui sillonnent la surface du plateau, il est rare qu’ils puissent parcourir un bien long trajet, depuis leur source, sans disparaître dans des entonnoirs creusés par leurs eaux dans les diaclases du calcaire. Citons comme exemples le cours supérieur de la Creuse et de l’Audeux, le ruisseau de Voye, près Sancey, le Gour de Bouclans, les ruisseaux de Saône et de la Vèze, le Lizon du haut, etc. De cette absorption des cours d’eau dans les fissures du calcaire, résulte, dans les zones de plateaux, aussi bien d’ailleurs que dans celle de la Haute-Chaîne, la constitution de Bassins fermés qui sont un des traits les plus caractéristiques de la topographie du Pays comtois. Les eaux de ces dépressions fermées, absorbées par des pertes, vont reparaître dans les vallées principales, plus profondément creusées, sous forme de fausses sources (Résurgences) dont la limpidité trompeuse a déjà causé bien des victimes; en effet, ces eaux d’origine superficielle, contaminées par les purins des villages et leurs eaux résiduaires, par les fumiers épandus sur les cultures, par les infiltrations des charniers et des cimetières, circulent, dans le sous-sol calcaire, sans filtration aucune, dans de larges galeries, parfois même accessibles à l’homme et ressortent aux résurgences, sans aucune épuration.

A l’ouest des Grands Plateaux et à une altitude moyenne moindre, s’étendent la Zone du Vignoble et celle des Collines Préjurassiennes (zones des Plateaux Occidentaux, des Avant-Monts du Jura, des synclinaux de l’Ognon, des Plateaux intermédiaires et des synclinaux de la vallée de la Saône). Cette région, avec ses coteaux ondulés, ses plateaux, tantôt cultivés, tantôt couverts de bois, ses vallées largement ouvertes (Doubs moyen et inférieur, Ognon, Saône) constitue la partie la plus fertile et la plus peuplée de Franche-Comté. C’est là que se sont développées les principales cités, c’est par là que passent les principales voies de communication. Comme la Haute-Chaîne et les Grands Plateaux, cette contrée est en majeure partie calcaire, mais le développement considérable qu’y acquièrent les formations marneuses du Lias et du Trias, la présence, dans les principales vallées, de larges plaines d’Alluvions et, à leur voisinage, d’imposantes terrasses de Pliocène et d’Alluvions anciennes, lui impriment un caractère spécial. Le climat moins âpre permet le développement d’une flore bien différente : il n’y a plus de grandes forêts de Conifères, et sur les coteaux bien exposés, la culture de la vigne se développe avec succès.

Dans la zone des Avant-Monts, le petit massif siliceux de la Serre, avec ses Gneiss, ses Granulites, ses pseudo-eurites, ses grès triasiques, fait hernie dans le noyau d’un pli brachyanticlinal et constitue, au sein même de cette zone Jurassienne, un trait d’union entre le Plateau Central et les Vosges Saônoises, auxquelles appartiennent déjà les massifs de Saulnot et du Salbert aux environs d’Héricourt et de Belfort. Les eaux qui s’écoulent de la zone des Grands Plateaux vers celle du Vignoble, débouchent, dans cette dernière, tantôt par de profonds canyons, tels que ceux que nous signalions plus haut (ex: canyons de la Loue), tantôt par de courtes vallées transversales que l’on désigne souvent dans le pays sous les noms expressifs de « Reculées » et de « Bouts du Monde ». Ces reculées ont la plupart du temps pour origine une résurgence dont l’érosion, sapant à leur base les bancs calcaires qui la dominent, a fait reculer progressivement l’émergence vers l’amont, donnant souvent naissance à des cirques grandioses : les Planches d’Arbois, Baume-les-Messieurs, etc. ; on rencontre aussi parfois des cirques de ce genre dans les Grands Plateaux et dans la Haute-Chaîne (ex: Creux du Vent, à la Reuse).

Comme on le voit, le pays comtois offre au touriste une infinie variété de sites, dont l’accès, le plus souvent très aisé, peut donner toute satisfaction aux amateurs d’excursions faciles, accessibles à tous. Mais les puissantes masses calcaires de la chaîne jurassienne recèlent en leur sein des merveilles moins accessibles, mais d’une beauté incomparable, et dont certaines n’ont encore été contemplées par nul œil humain; des rivières et des lacs limpides sur certains desquels nul esquif n’a encore flotté. Ce monde souterrain si intéressant et si étrange, dont une partie seulement nous a été révélée par les récentes explorations spéléologiques, réserve aux touristes plus hardis, épris de spectacles imposants et grandioses, et aux chercheurs que les difficultés matérielles ne découragent pas, un vaste champ d’investigations, joignant à l’attrait de l’imprévu et de l’inédit celui d’un certain péril à affronter et d’obstacles à vaincre. L’alpinisme, grâce à des séductions du même genre, a su attirer de nombreux adeptes ; moins nombreux, mais non moins fervents, sont les adeptes de cet alpinisme à l’envers que sont les explorations souterraines, explorations passionnantes et attachantes au plus haut point, car, à leur attrait pittoresque et sportif s’ajoute un intérêt scientifique et pratique puissant. Depuis plus de vingt-cinq ans, nous avons poursuivi l’étude méthodique des cavités souterraines de Franche-Comté ; c’est le récit de quelques-unes des plus intéressantes de nos explorations que nous allons exposer ici.

(1 ) Certains cours d’eau du Jura sont d’un vert émeraude tellement intense qu’on serait tenté de les croire colorés artificiellement, à tel point que l’on est bien souvent obligé de recourir au fluorescope, pour contrôler les résultats des expériences à la fluorescéine.

(2) Xavier MARMIER; Nouveaux souvenirs de voyage ; Franche-Comté, Paris. E Fasquelle.

 

 

CENT ANS DE SPELEOLOGIE


Grotte de Plaisir Fontaine

Par Benoit DECREUSE

Il y a plus d’un siècle,  le professeur Eugène FOURNIER commençait ses grandes explorations sur les plateaux de Franche-Comté .. En fait, c’est Edouard-Alfred MARTEL qui inventa le concept moderne de Spéléologie en 1888 dans les grands  Causses du Massif Central. Pour la première fois, on visitait les gouffres et les grottes pour eux-mêmes, pour en admirer simplement les beautés, pour les étudier, pour comprendre les circulations souterraines. Avant cela, quand on s’aventurait sous terre, c’était toujours dans un but intéressé. On y cherchait du minerai, de l’eau, un abri, où tout simplement un trésor. La démarche de MARTEL ne fut d’ailleurs pas bien comprise au départ. Toutefois, très vite l’activité remporta un vif succès et MARTEL fonda la Société de Spéléologie en 1895. En Franche-Comté, il y a eut quelques précurseurs comme Edmond RENAUD qui conduit quelques recherches dans le Jura. Ce travail fut prolongé dans ce  département par une équipe du CAF de Lons le Saunier.

Puits de Chin-Chin, 10 mars 1901

Eugène FOURNIER, professeur de géologie à Besançon s’intéressa au sous-sol  dés 1897. Il visita alors quelques grottes des environs immédiats de Besançon, mais toutes étaient déjà connues. A partir de 1898 Il donne ses lettres de noblesse à l’activité spéléologique en Franche-Comté en commençant l’exploration de grandes cavernes.

Le gouffre du PARADIS, sur la commune de Trepot, sera sa première vraie exploration. li lui faudra trois expéditions ( 19 juin 1898, 26 juin 1898 et 12 février 1899 ) pour atteindre la cote – 82 mètres. Compte tenu des difficultés énormes il croyait être à -200 mètres. Il faut dire qu’il faillit perdre un coéquipier tombé dans un puits de 5 mètres. De plus le matériel était sommaire. S’éclairant à la bougie, ses allumettes étant tombées au fond d’une crevasse, il dut revenir dans le noir ! Le gouffre de la CHENAU, toujours sur la commune de Trepot, l’intéressa également mais il lui fallut de nombreuses tentatives pour progresser  Profondément. L’exploration commença, comme pour le Paradis, le 19 Juin 1898. FOURNIER revint le 21 Mai 1899 avec MARTEL qui découvrait pour l’occasion la Franche-Comté souterraine. Ce n’est que le 18 Juin 1899, au cours d’une visite qui dura 36 heures, que l’équipe de FOURNIER atteint une cote avoisinant les – 100 mètres. Troisième grande cavité à avoir été visitée en première par le professeur FOURNIER, le gouffre de la BELLE LOUISE à Montrond le Château. Le 22 Janvier 1899, il entreprend un sondage du premier puits. Le 29 du même mois, avec trois autres personnes, il s’enfonce dans la verticale d’entrée. Il reviendra les 26 Février et 7 Mai de la même année pour descendre les grands puits de l’excavation. Il est enfin arrêté par un lac à la cote – 95 mètres.

FOURNIER poursuivit ses investigations durant de nombreuses années. Les articles et les livres qu’il publia témoignent de son travail acharné et systématique dans toute la région. Il peut être considéré comme le Père de la Spéléologie locale et en tout cas l’un des plus grands spéléologues de son époque. En scientifique, il fut le véritable rédacteur de la Loi Martel (protection de l’eau et des captages, détermination des sites pour les cimetières humains et les cimetières d’animaux, interdiction de polluer les gouffres et les pertes).

 

Après lui, quelques-uns de ses élèves puis des personnalités au caractère bien trempé vont conduire des recherches plus ponctuelles. Citons Charles DOMERGUES qui prolongea le Gouffre de la BELLE LOUISE, Pierre WEITE s’attachant, entre autre, à des recherches au gouffre de la CHENAU et Pierre CONTEJEAN qui visita le gouffre du PARADIS au delà du terminus FOURNIER en 1936. Ce spéléologue fut par ailleurs le fondateur du Groupe spéléologique du Doubs qui a fête ses 70 ans en 2019. C’est l’un des plus anciens clubs de Franche-Comté, après le Spéléo Club de VESOUL -1935- et le Spéléo Club San-Claudien -1948-. Petit à petit, les clubs se créeront et poursuivront l’oeuvre de FOURNIER. Ainsi, aujourd’hui plus de 6000 gouffres, grottes et autres phénomènes karstiques sont  répertoriés dans le seul département du Doubs. Les moyens ont changé mais on cherche toujours à découvrir d’avantage le milieu karstique. Encore de nos jours des hommes foules des lieux totalement vierges de toute pénétration humaine. Et encore de nos jours, leurs travaux obscurs seraient à classer « d’utilité publique ». Ces hommes de la nuit rapportent de leurs visites d’innombrables informations servant à la protection de l’eau, à la détermination des risques d’effondrements de terrain, à l’élaboration de bases de travail pour tous travaux (route, bâtiment, TGV, .. .), …Les 30 clubs franc-comtois regroupent plus de 400 passionnés. Ces derniers se retrouvent régulièrement pour travailler à la désobstruction de conduits colmatés, en quête de première et d’inédit …

Ces pages spéciales, reprennent quelques documents et en particulier plusieurs articles parus dans différentes revues. Elles vous permettront d’en savoir plus sur le Professeur FOURNIER et vous donneront peut-être le goût d’aller, vous aussi, rencontrer le sous-sol de notre région. Je ne terminerai pas cette page sans adresser un grand MERCI à Madame GOIZET et à ses enfants qui nous ont confié de nombreux documents originaux.

 

 

FOURNIER Eugène

Par Jean-Claude FRACHON

Eugène Fournier est né le 28 décembre 1871 en Bretagne. Ses études à Bayonne puis à Marseille le conduisent à une licence puis un doctorat ès sciences naturelles, spécialement orientés vers la géologie. Chargé de cours de géologie à l’université de Besançon dès 1896, il devint doyen de la faculté des sciences de 1918 à 1921.

Il y enseigna jusqu’en 1935, date à laquelle une grave maladie l’obligea à prendre sa retraite. Il mourut trois ans après Martel, le 17 avril 1941 à Besançon. Modeste, cet homme remarquable ne se préoccupa pas de mettre en valeur son oeuvre colossale, trop souvent sous-estimée, voire ignorée. Il fût bien sûr avant tout, géologue de terrain, notamment en tant que collaborateur principal au Service de la carte géologique. Ses travaux portèrent principalement sur la Provence, le Jura, le Quercy et les Grands Causses, ainsi que sur les Pyrénées occidentales. Il en tira un certain nombre de conceptions de tectonique générale, allant à l’encontre des idées alors à la mode -en particulier le  » nappisme ,,_ qui font de lui un précurseur de bien des théories tectoniques modernes. Mais il pensait que la science pure ne se justifie que par ses applications : c’est pourquoi il consacra l’essentiel de ses activités à la géologie appliquée, plus spécialement en terrains calcaires. Cela le conduisit tout naturellement vers l’étude du karst et des circulations karstiques. A ce titre, il collabora à plusieurs projets de tunnels et barrages, à l’étude de multiples implantations de cimetières et établissements insalubres, et à 2032 projets de captage d’eau potable … Il effectua plusieurs centaines de colorations (dont la plus célèbre est celle des pertes du Doubs, réalisée en 1910 avec 100 kg de fluoréscéine), et devint un des spécialistes mondiaux de cette technique.

Sa formation scientifique et ses multiples travaux de terrain en firent un des pionniers de l’hydrogéologie karstique, au moins autant et sans doute plus que Martel, bien qu’il soit moins connu que lui parmi les spéléologues. On lui doit un certain nombre de théories devenues classiques : importance prépondérante de la corrosion, abandon de la notion de nappe, classification des sources (exsurgences, résurgences), captures souterraines, délimitation des bassins d’alimentation, absence de filtration des eaux karstiques, etc … Il est bon de rappeler qu’il fut le véritable inspirateur de la fameuse  » Loi Martel » de 1902, interdisant le rejet d’immondices dans le sous-sol calcaire. Homme de terrain, Eugène Fournier n’échafaudait pas ses théories dans le confort du laboratoire : il s’adonna de manière intensive aux explorations souterraines, et la spéléologie naissante devint bientôt sa préoccupation première. A partir de 1898, il explora, généralement en « première ,, , près de 1200 cavernes, surtout dans le massif du Jura. Ces expéditions se faisaient en compagnie de ses étudiants ou d’amis dévoués, tels que Messieurs Besson, Deprat, Laurent, Mansion, Maréchal, Meynier, Poncet, Remond, Virieux, etc … Mais, à la différence de Martel, il payait très largement de sa personne : il descendait le premier et ne se posait pas en « maître ,, vis-à-vis de ses collaborateurs, authentiques coéquipiers au sens moderne du terme. Il entreprit un véritable inventaire spéléologique du massif jurassien, consigné d’abord dans les quelques 1700 pages de ses « campagnes » (publiées dans Spelunca première série à partir de 1899), puis dans cinq ouvrages totalisant 1300 pages, publiés à Besançon de 1919 à 1928. Cette oeuvre colossale sert encore de référence aux travaux spéléologiques modernes.

Le Professeur et ses collègues 

 

EUGENE FOURNIER (1871-1941), l’homme

par Bernard GEZE

Je n’ai pas rencontré Eugène Fournier ; j’ai seulement correspondu avec lui en 1936, notamment pour obtenir deux volumes déjà introuvables de sa célèbre « tétralogie » sur ses explorations souterraines en Franche-Comté. J’ai cependant l’impression de l’avoir bien connu, car son élève et successeur comme professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Besançon, Maurice Dreyfuss, m’en a bien souvent parlé. J’ai eu aussi des échos de sa vie dans le Quercy, quand je révisais les cartes géologiques qu’il avait levées, ainsi que par le biais de Pierre Contejean, Président fondateur du Groupe Spéléologique du Doubs, puis par le Dr Jeanne! qui
l’avait connu lors de la prospection souterraine des Pyrénées organisée par Martel en 1908.

C’est d’ailleurs Jeannel qui l’a le plus spirituellement décrit dans ses « Quarante années d’explorations souterraines » (Notes Biospéléologiques, fasc.6, 1950) : « Fournier était un petit homme corpulent, peu compliqué, vêtu d’une veste et d’un pantalon de toile, sans chemise, les pieds nus dans des espadrilles ; son bagage personnel consistait, en tout et pour tout, en un carnet de deux sous et un bout de crayon dans sa poche. Muni d’une corde de 50 mètres, il s’amarrait par la ceinture, puis faisant tenir la corde par deux ou trois costauds, il sautait dans le trou, enfonçant les buissons, faisant dégringoler la pierraille. Suspendu au bout de sa corde, il atteignait le fond si celui-ci était à moins de 50 mètres, sinon il se faisant remonter et sortait de son exploration, assez égratigné parfois, mais prêt à en recommencer une autre. » Il semble qu’une telle façon de procéder ne fut pourtant pas toujours la sienne. Dans le Jura, il était en effet connu pour aller sous la terre en jaquette et en chemise empesée, puis à utiliser les lourdes échelles de cordes à barreaux de bois du type cher à Martel. En outre, il était fort soigneux de son estomac puisqu’en exploration, il glissait un bifteck ou une côtelette entre sa chemise et sa peau, pour conserver cette ration au chaud ; à midi exactement, il la dégustait dans n’importe quelle position, y compris assis sur un barreau d’échelle au milieu d’un gouffre ! Par contre, il est bien exact que ses plans et coupes de cavités continuaient à être sommaires et dotés d’une échelle plutôt approximative : on assurait à Besançon que le mètre-Fournier était une nouvelle unité de longueur n’excédant pas 50 centimètres … Quant à ses levés géologiques dans le Quercy, on m’a garanti qu’il les dessinait de mémoire sur la carte topographique, après être rentré le soir à l’auberge où il se reconstituait grâce à plusieurs Pernod (dans les Pyrénées, c’était, paraît-il, le Bitter Secrestat). Ainsi s’expliqueraient des contours montrant parfois des différences kilométriques avec la réalité …

Il ne faut pourtant pas oublier qu’il fut un spéléologue des plus actifs, sachant passionner de nombreux élèves, améliorant grandement nos connaissances sur les eaux karstiques (on lui doit l’utile distinction en exsurgences et résurgences) et créateur du Laboratoire d’Hydrogéologie qui fait toujours la gloire de Besançon.

Excursions à Baume-les-Messieurs


Patinage en 1894

 

L’OEUVRE SPELEOLOGIQUE DE FOURNIER

Par Claude BILLUART (Actes du Colloque d’Hydrologie en Pays Calcaire – Besançon – 1971)

Certains eurent le privilège, comme Monsieur le Professeur Dreyffus, d’avoir été l’élève de Fournier, dont le souvenir nous réunit ce soir en cette Faculté des  Sciences qu’il illustra pendant près d’un demi-siècle. La lecture assidue de ses œuvres, les témoignages que nous avons pu recueillir auprès de ses anciens compagnons d’exploration, tels Maître Rémond décédé récemment, Maurice Dreyffus ou Pierre Contejean, ont fini par me le rendre très familier. De plus, nous avons eu souvent l’émotion, avec le Groupe Spéléologique du Doubs de Besançon, d’être les premiers à repénétrer dans certaines cavernes après son passage. Tout ceci explique la vénération respectueuse et passionnée que je n’ai jamais cessé de vouer depuis à ce pionnier de la spéléologie française dont je vais essayer de vous retracer la figure et l’oeuvre.

Portrait physique et moral : 

Une description extrêmement pittoresque de Fournier nous a été laissée, non sans malice, par Jeannel dans ses notes de biospéléologie. Jeannel nous raconte ainsi la fameuse excursion de 1908 organisée par Martel dans les Pyrénées :  » En 1908, le Ministère de L’Agriculture chargea Martel de prospecter les cavernes des Pyrénées et de rechercher les eaux souterraines susceptibles d’utilisation. Des fonds considérables furent mis à sa disposition et lui permirent de rassembler de nombreux personnels : d’abord le Professeur Fournier, bien connu par ses explorations souterraines dans le Jura, et le Docteur Maréchal de Besançon, puis l’astronome et dessinateur L. Audaux, les hauts fonctionnaires du Ministère et une quantité d’amis désireux de participer à d’émouvantes descentes d’abÎmes… Le 20 juillet 1908, la mission descend du train à Salie-du-Salat. Elle y trouve une foule d’admirateurs qui vont suivre et les bagages sont transportés au petit village d’Arbas. Un étonnant amas d’objets divers s’accumule: avec d’innombrables cantines, ce sont des ballots de matériel de campement, des centaines de mètres de corde et d’échelles de cordes à barreaux de bois ; une grande échelle rigide extensible de 30 m doit permettre des ascensions. Ce sont encore des tonneaux de carbure de calcium pour les lampes à acétylène, des bateaux pliants avec des avirons, des appareils téléphoniques, des tables pliantes, des fauteuils de toile, car il faut pouvoir se reposer, et une incroyable quantité de caisses bourrées de toute sorte de conserves sans compter la demi-douzaine qui renferment les bouteilles de  » Secrestat ‘ » l’apéritif préféré du Professeur Fournier. Les gens d’Arbas n’avaient jamais vu un tel déballage … Une multitude d’avens s’ouvre autour d’Ahusuuy, dans les Arbailles.

Fournier, sans doute déçu par les techniques trop savantes et peu efficaces de la mission, se mit à explorer seul. Fournier était un petit homme corpulent, peu compliqué, vêtu d’une veste et d’un pantalon de toile, sans chemise, les pieds nus dans des espadrilles ; son bagage personnel consistait, en tout et pour tout, en un carnet de deux sous et un bout de crayon dans sa poche. Muni d’une corde de 50 m, il s’amarrait par la ceinture, puis, faisant tenir la corde par deux ou trois costauds, il sautait dans le trou, enfonçant les buissons, faisant dégringoler la pierraille. Suspendu au bout de sa borde, il atteignait le fond si celui-ci était à moins de 50 m, sinon il se faisant remonter et sortait de son exploration, assez égratigné parfois, mais prêt à en recommencer une autre. Tandis que la longue caravane de mulets, surchargés par le matériel de la mission, cheminait en direction des sources de la Vidouze ; Fournier a bien sondé ainsi de sa personne, une dizaine d’avens qu’il a d’ailleurs tous trouvé bouchés vers 30 à 40 m de profondeur. ,, Cet habillement estival n’était pas dans les habitudes vestimentaires de Fournier, qui portait habituellement en Franche-Comté, en tout temps et en tout lieu, une jaquette, en toile l’été, molletonnée l’hiver. li lui arrivait souvent de descendre ainsi vêtu dans un trou. Fournier était servi par une constitution physique robuste. Lorsqu’on relit ses campagnes d’explorations, on reste confondu par l’accumulation des difficultés matérielles rencontrées : transport en traîneau l’hiver, longues marches d’approches par n’importe quel temps à une époque où les moyens de locomotion n’étaient pas ceux que  nous connaissons aujourd’hui, explorations éclairées à la bougie, matériel très encombrant et lourd qu’il fallait acheminer et remonter, puis retour à Besançon en pleine nuit parfois. A la différence de Martel, Fournier payait très largement de sa personne. Il descendait le premier et il dirigeait avec lucidité les opérations en chef d’expédition.

Un humour très personnel agrémentait ses sorties. Il affectionnait les navigations souterraines et n’hésitait pas à se mettre à la nage lorsque son embarcation pliante préférée « le berthon ,, , qu’il comparait à un vieux combattant couvert de nobles blessures, ne pouvait plus passer. Il ne recula que dans trois cavités : le gouffre du Paradis, où on reste confondu par la progression importante qu’il fit dans cet abîme étroit et tortueux avec des centaines de mètres d’échelles pesant plus d’un kilogramme au mètre, le gouffre du Lacheneau où des éboulements le firent battre en retraite avec Martel, qui devait d’ailleurs y laisser son appareil photographique, et la Baume Ste Anne où il estimait n’avoir pas le matériel nécessaire pour en venir à bout.

Si Fournier était doué d’une résistance peu commune, il était néanmoins un explorateur prudent. Au cours de toute sa carrière menée non seulement dans le Jura, mais aussi en Provence et dans les Pyrénées, ce qui représente presque mille deux cents cavernes étudiées, il n’eut jamais, avec ses compagnons, le moindre accident grave à déplorer. Le fait mérite d’être signalé, car depuis  malheureusement, ses conseils de prudence n’ont pas été suivis par quelques jeunes imprudents qui exposent de plus leurs sauveteurs. Il y a des spéléologues qui ne savent pas vieillir. Les derniers jours de Martel furent assombris par des querelles enfantines avec Robert de Joly. Fournier fit preuve, à la fin de sa carrière d’un  » fair-play ,, qu ‘il faut souligner. Il encourage à poursuivre son oeuvre la dernière génération de ses collaborateurs qui avaient remplacé les Maréchal,
Mansion, Virieux, Meynier, Remond … même s’il devait infirmer sa cartographie faite souvent de mémoire, ses mesures parfois exagérées. Alors que Martel interdisait à De Joly de poursuivre l’exploration du « Chourun Martin ‘ » Fournier invitait le même De Joly à poursuivre les explorations qu’il n’avait pu mener à bien au gouffre du Paradis et à la Baume Ste Anne. Nous devons d’ailleurs à De Joly une très affectueuse pensée publiée dans la nouvelle série de  » Spelunca ,, lorsque l’accident qui devait assombrir la fin de la vie de Fournier fut connu.

Mais l’exploration physique du domaine souterrain ne fut pas le seul souci de Fournier. Homme de science, Fournier considère que le milieu de la caverne constitue un domaine d’investigations originales dans de nombreuses disciplines, ce qui permet de faire de la spéléologie, une science particulière qui enrichit des matières aussi différentes que la géologie, l’hydrologie, la préhistoire, la biologie.

 

Une spéléologie scientifique :

Ce sont surtout ces trois premières sciences qui devaient retenir l’attention de Fournier. Nous négligerons la préhistoire qui occupa une partie non négligeable de son activité car cette science déborde l’objet de ce colloque. En géologie, Fournier considère que l’exploration des cavités réalise à juste titre un sondage géologique et humain, certes sur une brève profondeur, car la pénétration de l’homme est infime par rapport à la dimension que les géologues désirent appréhender. La descente d’un abîme permet de vérifier la suite des différents étages, d’observer les pendages des couches, les plissements, les accidents tectoniques. Ainsi les observations faites dans certaines cavités de la région de Déservillers, dans le gouffre des Biefs-Boussets en particulier où la charnière synclinale d’un pli de l’ondulation transversale est visible d’une façon saisissante, ont permis de préciser la structure de ce qui est devenu le faisceau salinois, cher à notre ami André Caire.

Fournier fit oeuvre de pionnier en hydrologie des pays calcaires. Avec une très grande clarté, il posa un certain nombre de principes sur la circulation des eaux souterraines en terrain calcaire, qui paraissent aujourd’hui tellement naturels que les rappeler semble de la banalité : abandon de la notion de nappe d’eau, phénomènes de capture, classification des types de sources, absence de filtration des eaux en terrain calcaire. Pour mieux comprendre l’apport de Fournier, il suffit de relire certains ouvrages aberrants publiés à cette époque. C’est en explorant les moindres anfractuosités du sous-sol comtois, qu’il pu vérifier ses hypothèses. Il attacha à juste titre dans la genèse des cavités souterraines, une importance prépondérante à la corrosion, divergeant en cela de Martel. Il détermina le cycle des creusements ce qui permettait d’expliquer en même temps certains aspects physiques du relief de notre région : bassins fermés, dolines, vallées mortes, érosion ruiniforme, reculées, lapiaz (laizines comme l’on dit en Franche-Comté) cachés souvent par une végétation qui masque ces phénomènes.

Si ces derniers sont maintenant tellement connus qu’ils appartiennent presque au domaine public, nous le devons en grande partie à Fournier. Ses connaissances ont donné une nouvelle dimension à la géographie physique en permettant la création d’une nouvelle discipline, celle de la géographie karstique : le professeur Chabot, qui fut l’un de ses protagonistes, me confiait récemment l’influence déterminante que les travaux de Fournier avaient eu sur son oeuvre. Toutes ses recherches, pour citer quelques chiffres, ont porté sur l’exploration effective de plus d’un millier de cavernes, de 1896, date de son arrivée à Besançon, jusqu’en 1930, à l’examen de 2032 projets de captage d’eau potable, à plusieurs centaines de colorations à la fluorescéine, dont la plus célèbre est celle des pertes du Doubs, réalisée avec Martel en 1910, avec 1OO kg de colorant (une telle dose n’a jamais du être dépassée depuis).

Fournier est aussi l’auteur de la théorie fondamentale sur les colorations et les vitesses d’écoulement des eaux souterraines en terrain karstique. Les publications spéléologiques de Fournier peuvent se répartir en quatre groupes :

1) les comptes-rendus de ses campagnes successives, sont annuels au début, puis portent sur une période plus longue : soit au total 1700 pages publiées d’abord par la revue « Spélunca ,, (1 ère série), puis dans le Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs après la disparition de la première série de « Spelunca ,, en 1914.                                                                                                                                                                                       2) La publication de 200 et quelques notes dans diverses revues scientifiques ou à l’occasion de congrès spécialisés. Nos sociétés locales : la Société d’Emulation du
Doubs, l’Académie de Besançon, et bien entendu la Société d’Histoire Naturelle du Doubs dont Fournier fut l’un de ses premiers membres, ne sont pas oubliées.
3) Quelques articles de vulgarisation, Fournier étant moins prolixe que Martel et donnait sa préférence à des revues régionales telles que le  » Jura français ,, ou « Franche-Comté  Monts-Jura ‘ » dirigée à l’époque par notre amie Suzanne Peteuil.
4) Cinq ouvrages publiés de 1919 à 1928 et totalisant plus de 1300 pages. Ce sont par ordre chronologique :
– « gouffres, grottes, cours d’eau souterrains, résurgences etc … du département du Doubs, essai de statistiques géologiques, spéléologiques et palethnologiques ,, en 1919.
Cet ouvrage devait recevoir en 1920, le prix Montyon de l’Académie des Sciences.
–  » Les Gouffres » en 1923.
– « Grottes et rivières souterraines » en 1923.
– « Les eaux souterraines, sources, résurgences et nappes aquifères » en 1926.
– « A. phénomènes d’érosion et de corrosion spéciaux aux terrains calcaires ;
B . applications scientifiques et pratiques de la spéléologie et de l’hydrologie
souterraine ,, en 1926.

Ces quatre derniers ouvrages ont été publiés sous le titre collectif suivant : « Explorations souterraines et recherches hydrologiques en Franche-Comté « ·
A ces cinq livres, on peut ajouter un sixième publié en 1924 : « La recherche et les captages des eaux souterraines en Franche-Comté ». Les quatre livres réunis sous le titre collectif indiqué ci-dessus résument les différentes campagnes par grands secteurs géologiques puis par basins hydrologiques. Ils comprennent le récit des explorations, les observations, les explications géologiques et hydrologiques, des croquis, des relevés, et des notes sur l’archéologie ; la biospéléologie, voire même l’histoire lorsque la caverne décrite s’insère dans un passé local digne d’être rappelé. De nombreuses références bibliographiques sont données. Chacun de ces ouvrages se termine par une liste alphabétique des communes des départements de la Franche-Comté avec les noms des cavités en mentionnant si elles ont été ou non explorées.

Ce travail immense et critique saisit pour la chaîne du Jura français le domaine spéléologique d’une façon qui n’a pas été égalée depuis. L’inventaire spéléologique publié pour notre région, sous l’égide de la Fédération Française de Spéléologie et du B.R.G.M. a repris entièrement certaines listes de Fournier. Fournier demeure toujours la référence de base de toute étude hydrologique en Franche-Comté.

 

 

Un protecteur de la nature :

Je voudrais maintenant, pour conclure, rechercher quelques faits qui me paraissent d’une actualité intéressante, sinon brûlante. Je citerai bien sûr la protection des bassins d’alimentation en regrettant que la loi de 1902 évoquée plus haut et dont Fournier fut le véritable inspirateur, soit tombée en désuétude. Aujourd’hui, le vocabulaire a changé, on parle de pollution, de nuisance, d’environnement, mais ces noms évocateurs ont le même contenu. Fournier est également un défenseur des sites naturels et lutte pour qu’une construction industrielle ou privée ne soit pas une verrue dans un paysage et qu’une carrière ne vienne pas écorcher la nature. Ces théories sont exposées par Fournier dés 1923 au premier congrès international sur la Protection de la Nature. La technique pédagogique de Fournier dans son enseignement à la Faculté des Sciences préfigure les récentes réformes que vous connaissez. Fournier professait un cours magistral très personnel, complété par des travaux pratiques ou des visites sur place, permettant ainsi à l’étudiant de faire une liaison permanente entre les grands principes généraux et les réalités concrètes. Cette découverte sur le terrain était effectuée généralement au cours des excursions hebdomadaires « où l’on faisait entre autre de la spéléologie » ouvertes très largement non seulement aux étudiants et aux universitaires, mais également aux amateurs, à tous ceux que ces problèmes intéressaient, instituant par cette façon un dialogue entre la Faculté et le public. C’était presque l’université populaire avant la lettre! Fournier forma ainsi différents autodidactes des Sciences de la Terre, recrutés dans le commerce et l’industrie ou le monde judiciaire. Il faut dire que son rayonnement exceptionnel, son enthousiasme scientifique, son humour où n’était pas exclu un certain folklore, ses conseils paternels ont beaucoup facilités le succès de cette politique. Il nous suffit de lire l’affectueux hommage que lui a rendu après sa mort, dans le bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, Maître Remond à son sujet. Les conseils de prudence de Fournier en technique d’exploration restent toujours valables. Les accidents récents ne seraient pas arrivés si l’usage de la corde d’assurance avait été observé, si les forces avaient été mesurées (Fournier n’hésitait pas à reculer, quitte à revenir la semaine suivante ; il savait attendre avec patience une période de sécheresse). C’est hélas, dans des cavités signalées comme dangereuse par Fournier, que se sont produit la plupart des drames contemporains : Blamont, le gouffre du Paradis pour ne citer que les accidents les plus spectaculaires.

Certaines techniques de matériel annoncent les innovations de Robert de Joly ou de Pierre Chevalier : l’idée d’alléger les échelles par l’emploi tous les deux échelons d’un barreau de corde succédant à un barreau en bois, l’échelle extensible « en dur » pour atteindre les porches plus élevés ou les galeries hautes. Il y a chez Fournier un éloge de la nature simple et émouvant. Ses ouvrages nous donnent des itinéraires de visites de notre région très personnels et inattendus, où l’intérêt touristique ne le cède en rien à l’intérêt scientifique. Bien que né en Bretagne et devenu franc-comtois après avoir passé son adolescence en Provence, Fournier affirme son attachement à notre petite patrie. Il fait le parallèle entre son unité géologique, historique et économique et conclut par le respect de son autonomie et de son indépendance par rapport aux régions voisines de Bourgogne et de Haute Alsace.

Lorsqu’il y a un an et demi, j’avais écrit à mon ami Maurice Dreyfuss pour lui demander de m’associer à ce qui serait fait par le Laboratoire de Géologie de la Faculté des Sciences de Besançon pour commémorer en 1971 le centenaire de la naissance et le trentième anniversaire de la mort de Fournier, j’étais loin de penser à l’organisation d’un colloque aussi impressionnant que celui auquel nous participons aujourd’hui. Le mérite en revient au professeur Dreffus que Fournier avait en haute estime et au professeur Chauve qui est un organisateur méticuleux, sachant veiller à tous les détails. Je suis heureux de saluer la présence parmi nous de mon ami Pierre Contejean, Président fondateur du Groupe Spéléologique du Doubs, qui fut initié à la spéléologie par Fournier, avant de devenir l’un des premiers collaborateurs de Robert de Joly, Président fondateur de la Société Spéléologique de France, héritier de la première Société de Spéléologie fondée par Martel et Fournier. Il a fait ainsi la liaison entre deux générations de spéléologues.

Si certaines théories ont pu s’affiner depuis Fournier, ses grands principes demeurent la base de l’hydrologie moderne. Toujours sensible à l’évolution incessante de la science, il aurait approuvé une réunion comme celle-ci. Je pense que ceci constitue l’hommage le plus sincère que nous puissions rendre à ce très grand spéléologue.

La Carte de Membre du Spéléo-Club de France

Correspondance avec E. A. MARTEL

Cette lettre historique, pleine d’humanité, mérite une petite traduction, Merci à Agnès Barth, Marlène Vauchez et Christophe Rognon pour la contribution à la Champollion

 

 

Eugène FOURNIER, Ses prédilections

Par Pierre PETREQUIN

Puisque l’on parle beaucoup en Franche-Comté de publication de fichiers spéléologiques et que la vogue actuelle est la spéléologie « scientifique», j’ai pensé qu’il était utile de donner ici une liste complète des publications de E. FOURNIER, ancien professeur de géologie à la Faculté de Besançon, et de faire précéder cette liste d’ouvrage d’un bref aperçu de la vie de Fournier. En effet, j’ai remarqué que dans plusieurs clubs nouvellement fondés et travaillant sur le Jura, on avait entendu parler du professeur Fournier, on consultait quelques uns de ses ouvrages les plus classiques, mais bien souvent, les jeunes sont peu au courant de ce qu’il représente pour la spéléologie française, et en quoi il a effectué un travail indispensable dans le Jura du point de vue prospection, fichier et description de cavités. De façon plus générale, il a été un des créateurs de la spéléologie scientifique, sans pourtant adopter ce terme « pompeux ,, au sujet de ses recherches. Nous avons donc tous à son égard, une dette de reconnaissance qu’il ne sera possible de combler qu’en poursuivant son travail, dans l’esprit même où il l’avait entrepris.

Je ne saurais trop conseiller la lecture de l’article de M. le Professeur DREYFUSS sur la vie et l’oeuvre scientifique de Fournier, dans :
DREYFUSS E. – 1942 – E. Fournier, Bull. Soc. Géol. De France
11° 4-5 et 6, pp. 209 à 228. J’insisterai ici sur l’oeuvre spéléologique de Fournier.

Eugène, Yves, Antoine, Marie FOURNIER, naquit à Saint-Brieuc, le 28 Décembre 1871. Après ses études littéraires et scientifiques de 1884 à 1891 aux lycées de Bayonne et de Marseille, il prépare sous la direction de G. VASSEUR, une licence de sciences naturelles, qu’il passe brillamment en 1894. A 25 ans, il soutient en Sorbonne sa thèse de doctorat le 13 juin 1896 / « Description géologique du Caucase Central ,, . Après son doctorat, il est nommé chargé de cours de Géologie et Minéralogie, puis titularisé en 1902, à la Faculté des Sciences de Besançon. IL fait toute sa carrière d’enseignant à Besançon (Doyen de la Faculté de 1918 à 1921) jusqu’en 1935, où une grave maladie l’oblige à prendre sa retraite. Cinq ans après Martel, Fournier meurt à Besançon, le 17 avril 1941 , à l’âge de 70 ans. Il faudrait essayer de consigner les histoires que l’on peut encore glaner au sujet de Fournier, et qui montreraient davantage sa personnalité joviale et dévouée.

Il avait une grande résistance et considérait qu’autant que la pédagogie, l’entraînement physique avait son importance, tant pour le géologue que pour le spéléologue. Ses recherches spéléologiques au début de sa vie n’étaient qu’un passe-temps (sa première campagne a été effectuée en 1898, soit deux ans seulement après son arrivée à Besançon), mais peu à peu passèrent à la fin de sa carrière au premier plan de ses occupations. Chaque dimanche, il partait en «excursion ,, avec ses élèves ou quelques amis dévoués (MM. Maréchal, Mansion, Virieux, Besson, Poncet, Meynier, Deprat, Rémond, Laurent … ). Il visitait au cours de chacune de ses campagnes le maximum de cavités, se renseignait auprès des habitants, dessinait et consignait fidèlement toutes ses observations. Les résultats de ses explorations, il les a tout d’abord publiées sous forme de « campagnes spéléologiques ,, annuelles, puis regroupées en répertoire par communes, sous une forme beaucoup plus pratique à consulter. L’oeuvre de Fournier constitue toujours pour nous une mine de renseignements et nous ne saurions mieux faire que de la compléter.

De par sa profession, il a pu étudier, bien davantage que E. Martel, l’hydrologie et la karstologie, les rapports géologie-spéléo, de quelle manière la fissuration des calcaires, la tectonique, la statigraphie, avaient une influence prépondérante sur le positionnement et le creusement des réseaux souterrains. Nous lui devons les premières classifications des sources du calcaire, l’étude des phénomènes de capture, la délimitation des bassins d’alimentation, les rapports érosion-corrosion, etc … De plus, il s’est toujours préoccupé des recherches paléontologiques et préhistoriques. Lorsque nous connaissons les moyens de locomotion de l’époque, ses faibles moyens d’exploration, nous ne saurions lui reprocher les quelques erreurs de ses croquis topographiques par exemple. Les recherches du professeur Fournier dans la Chaîne du Jura, font que cette région karstique est une des mieux connues de France, nous avons le devoir de continuer son oeuvre.

 

 

1898 – Notes préliminaires sur quelques explorations spéléologiques dans le Jura – Spélunca, t. Il, n°15, p. 109-115.
1899- Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (1° campagne) Spélunca, t.111, n° 21, p. 289-358. (en collaboration avec A. Magnin)
1900– Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (2° campagne) Spélunca, t.IV, n°24, p. 21663. (en collaboration avec A. Magnin)
1900 – Les recherches spéléologiques. Discours de rentrée des Facultés. Rentrée solennelle des Facultés. Besançon, lmp. Dodivers, p. 47 _61 .
1900 – Découvertes spéléologiques en Franche-Comté. Mém. Soc. d’Emulation du Doubs, 9°série, t.IV, p XVI-XVII et t.V, p. 340-346.
1900 – Recherches spéléologiques dans le Jura franc-comtois. C.R. Congr. Soc. Sav. Paris, 1900, p. 25-27.
1900 – Les réseaux hydrographiques du Doubs et de la Loue. Ann. de Géogr., t. IX, n°45, p. 219-228.
1901 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (3° campagne) Spelunca, t. IV, n°27, p. 122-164.
1901 – Sur les phénomènes de capture des cours d’eau superficiels par les cours d’eau souterrains. CR.Ac.Sc., t.133 , p.261-263.
1902– Les sources résurgences et nappes aquifères du Jura franc-comtois – p. 423-437. Bull. Serv. Carte géol., n°35.
1902 – Sur un nouvel exemple de capture des cours d’eau superficiels par érosion souterraine. B.S.G.F. (4), Il, p. 380-382.
1902 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (4° campagne). Spelunca, t. IV, n°29, p.229 – 271.
1902 – Sur la structure des réseaux hydrographiques souterrains dans les régions calcaires. CR. Ac. Sc. t 134, p. 380-382.
1902 – Rapport sur les clauses de contamination des sources d’Arcier. Besançon, Ordinaire, 9p.
1903 – Etude sur les projets d’alimentation, le captage, la recherche et la protection des eaux potables. Bull. Serv. Carte géol., n°94, p. 323-352.
1903 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (5°campagne). Spelunca, t.V, n°33, p.35-62.
1903 – (en collaboration avec A. Magnin) Sur la propagation de la fluoresceine dans les eaux souterraines. Bull. Soc. belge de Géol., t. XXVII , p. 269-273 et 444-446.
1903 – (Id.) Essai sir la circu lation des eaux souterraines dans les massifs calcaires du Jura. Soc. belge de Géol., Paléont. et Hydrol. T. XVII , p. 523-537.
1903 – (Id.) Sur la vitesse d’écoulement des eaux souterraines. CR. Ac. Sc., t.136, p.910-912.
1904 – Nouvelles études sur la tectonique du Jura franc-comtois. B.S.G.F. (4), IV, p. 497-512.
1904 – Quelques mots sur la source d’Arcier près Besançon. Bull.Soc. belge Géol., Paléont., et Hydrol., t XVII, p. 586-590.
1904 – Enquête sur le bassin d’alimentation de la source d’Arcier; Enquête de la commission sanitaire de Besançon – lmp. Millot.
1905 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (6° campagne) – Spelunca, t.V, n°38, p.383-406.
1905 – La source d’Arcier: histoire d’une résurgence vauclusienne. Spelunca t.V, n°38, p.295 – 337.
1906 – Rapport sur la source d’Arcier. Enquête sur la commission sanitaire de Besançon, 24 p.
1907 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (7° Campagne) Spelunca, t.Vll, n°47, p.1 – 28.
1907– Id. (8°et 9° campagnes) Ibid., n°50, p.91 – 130.
1907 – La Franche-Comté souterraine. Revue de Franche-Comté, n°1, p.38-40.
1908 – Rapport sur les pertes du Doubs et sur les travaux à exécuter en vue de la régularisation du régime du Doubs. Publication des Usiniers du Doubs, Besançon.
1909 – Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (10° campagne) Spelunca, t. VII, n°56, p.273 – 302.
1909 – Id. (11 ° campagne). Ibid ., n°58, p.369 – 395.
1910– Recherches spéléologiques et hydrologiques dans la chaîne du Jura. Spelunca, t. VIII , n° 62, p.159-200.
1912 – Recherches spéléologiques et hydrologiques en Franche-Comté (13° campagne) Spelunca, t. IX, p. 71 – 100
1913 – La grotte de Gondenans-les-Montby. Le Petit Comtois, 8 Janv. 1913 – Le Doubs et la Loue : communication des pertes du Doubs avec la Loue. Expérience de coloration de 1910. Bull. Soc. Hist. Du Doubs, n° 23, p.59 – 80 et n° 27 p. 12.
1913-La rivière souterraine d’Osselle. Le Petit Comtois, 5 mai 1913.
1913 -Sur l’origine des sources de Pontarlier. Expérience de coloration des Fourgs. Journal de Pontarlier, 8 Juin 1913
1914 – Recherches spéléologiques et hydrologiques dans la chaîne du Jura (14°et 15° campagnes) Spelunca, t. IX, n°72, p. 131 – 139.
1914 – Les cavités souterraines du plateau de Montrond. L’illustré, n° 166 – p. 214.
1914 – Le percement du Mont d’Or et ses conséquences hydrologiques et économiques. La Franche-Comté à Paris, n°16 à 23 (19 oct. – 7 déc. 1913)
1915 – 1916 – L’hydrologie du massif du Mont d’or (Doubs). C.R. somm. S.G.F. 8 nov.
1915 – p. 114-115 et 21 février 1916, p. 33 – 34.
1918 – Recherches spéléologiques et hydrologiques dans la chaîne du jura (16°campagne). Bull. Soc. Hist. Nat. Du Doubs, n° 30, p. 13 et 28 – 47.
1919- La grotte des Caveaux ou Gavottes, près de Montrond (Doubs). Franche-Comté et Monts Jura n°5, p. 67 – 70.
1919 – Rapport sur les perturbations apportées au régime du Bief-Rouge. Besançon, Jacques et Demontrond, 14 p., IV pl.
1921 – Sur un nouveau gouffre venant de se former à Champagnat (S.et L). Bull. Soc. Hist. Nat. Du Doubs, n° 25, p. 24.
1922 – Quelques buts peu connus d’excursions aux environs de Besançon. Franche Comté et Monts Jura, n°39, p. 36 – 38.
1922 – Le gouffre-grotte de la Roche aux Corbeaux. Le Pontissalien, 8 juillet 1922.
1924 – La recherche et le captage des eaux potables en Franche-Comté, 1 Vol. 118 p., 32 fig., Pontarlier Faivre-Vernay.
1925 – Sur un mode de capture par érosion souterraine, spécial à certains bassins fermés de la chaîne du Jura. CR. Ac. Sc., t.130, p.150.
1926 – Explorations souterraines en Franche-Comté.
1931 – Les résultats pratiques des explorations souterraines. Spelunca (Nouv. Série) n°1, p. 22 – 27.
1931 – Exploration des grottes de la Baume, près de Sancey le Long. Franche-Comté, Monts Jura et Haute Alsace, n° 143, p.12 – 13.
1932 – (en collaboration avec M. PEROT) Recherches spéléologiques et hydrologiques en Franche-Comté (17° campagne). Bull. Soc. Hist. Nat. Du Doubs, n° 40, p. 40 – 62.
1932 – Le Jura souterrain. C.R. Congr. Soc. sav., Besançon, p. 5 – 81
1932 – Les ressources hydrologiques de la Franche-Comté au point de vue de l’alimentation en eau potable. Ibid. , p. 378 – 379.
1935 – Sur l’expérience de coloration à la fluorescéine au gouffre du Paradis (Doubs) CR. Ac. Sc., T.200, p. 480 – 482.

 

PREHISTOIRE en GROTTES

1891 – Sur quelques cavernes des environs de Marseille. A.F.A.S., Congr. De Marseille, 1° volume, p. 206 – 207.
1892 – (en collaboration avec C. RIVIERE) Découverte d’une station rebenhausienne dans la Baume de Sourne, près de Marseille. Feuille des Jeunes Naturalistes, n° 234, p. 293 – 341
1893 – (id) Découverte d’objets de l’époque robenhausienne dans la Baume Loubière, près de Marseille. Bull. Soc. d’anthropologie de Paris. T.IV, p.587 – 595.
1906 – La grotte de Scey-en-Varais. Revue préhistorique de l’est de la France, t.1, n°4, p.97 – 101.
1912- La grotte des Planches d’Arbois. Le Jura Français, n°11 , p.127 – 128.
1912 – La grotte de Scey-en-Varais. CR. Du Congrès Rhodania, réunion de Besançon, 3p.
1914 – La grotte de Scey-en-Varais (Doubs). L’Iiiustré, n° 171 , p. 300.
1927 – L’abri néolithique de la Roche aux Pêcheurs, près Lac-ou-Viller. Franche-Comté et Mont Jura, n° 94, p. 120 – 121.

Près du puits Chin-Chin, mars 1901

 

 

L’EXPLORATION du PUITS DE LA BELLE LOUISE

racontée par FOURNIER, lui même, extrait de  » Les Gouffres … » , 1923

Puits de la Belle-Louise et Gouffres voisins 

Le Puits de la Belle Louise s’ouvre, à 1 kilomètre environ au sud-est de Montrond, au nord de la ferme de la Vèvre, dans le Bathonien supérieur. Il avait, comme tous les grands gouffres de la région, la réputation d’être insondable, et inspirait aux habitants du  pays une sorte de terreur superstitieuse. Une légende locale raconte qu’une jeune fille, fiancée à un jeune homme du village s’y était précipitée pour échapper aux assiduités d’un jeune seigneur; on aurait retrouvé, à une centaine de mètres de profondeur, sur un banc de rocher en saillie, son annulaire détaché, portant sa bague de fiançailles, qui fut rapportée à sa famille. Quant au reste du corps de la belle Louise, le diable l’avait emporté ! D’après une autre version, la belle Louise aurait abandonné son fiancé pour consentir à une union plus avantageuse ; le diable, pour la punir de son parjure, l’aurait précipitée dans le gouffre. Des habitants y serait descendus pour rechercher la disparue, ils coupèrent le doigt portant encore l’anneau de mariage, qu’ils rapportèrent aux parents.
Le gouffre débute par une sorte d’entonnoir, dans lequel s’ouvrent deux orifices : dans l’orifice méridional, se jette un ruisseau ; les deux orifices se réunissent en profondeur. Le 22 janvier 1899, nous opérions un sondage préliminaire ; la sonde s’arrêtait, dans un orifice comme dans l’autre, à des distances variant entre 30 et 38 mètres, mais, en jetant dans le gouffre de gros blocs de pierre, nous pûmes nous rendre compte qu’il se poursuivait beaucoup plus profondément.

Le 29 janvier 1899, nous tentons une première descente, d’abord dans l’orifice méridional {b) ; à 25 mètres environ de profondeur, j’atterrissais sur une petite plateforme, sur laquelle le cadavre d’un cheval, dans un état de décomposition avancée, me barrait le chemin : j’essayais en vain de le précipiter dans l’escarpement, mais il me fallut y renoncer et remonter à la surface, la présence de cette charogne rendant le séjour sur la plate-forme absolument intolérable. Il me fut cependant possible de me rendre compte que les puits se rejoignaient, à une distance verticale d’environ 50 mètres de la surface. MM Bresson, Deprat et Poncet, tentèrent alors la descente dans le gouffre septentrional et prirent pied, à environ 35 mètres, sur une plate-forme très étroite et en pente vers le gouffre ; ne disposant plus que d’une quinzaine de mètres de corde, ils ne purent descendre plus profondément, car il n’était pas possible de s’installer sur cette étroite plate-forme, pour faire descendre un des explorateurs plus bas. A la remontée, M. Poncet, qui était resté le dernier sur la plate-forme, s’étant mal attaché et embrouillé dans l’échelle, se retourna complètement et c’est la tête en bas qu’il fut ramené à la surface ; les cordes d’attache étant insuffisamment serrées, il aurait pu facilement, dans cette position, passer à travers les boucles d’attache et être précipité la tête la première dans le vide ! Le 26 février 1899, munis de 85 mètres d’échelles et de 200 mètres de cordes, nous reprenons l’exploration. MM. Meynier, Deprat et moi, atteignons le fond du puits, à 80 mètres environ de la surface ; cette descente peut être considérée comme absolument à-pic, car les plates-formes intermédiaires ont une largeur insignifiante par rapport à la hauteur totale et l’échelle se trouvant en outre placée de façon à ce qu’il fût impossible d’y prendre pied. Le gouffre, vu du fond, produit une impression grandiose : ses parois, corrodées par les eaux, sont d’une blancheur absolue ; des arcades découpées en ogives et des piliers anguleux, découpés d’une façon bizarre, lui donnent l’aspect d’un édifice gothique étrange ; l’orifice septentrional apparaît comme un point brillant et l’un des arbres penchés sur l’abîme, ne semble plus, à cette distance, qu’un frêle arbrisseau ; une lueur verdâtre s’infiltre par l’orifice méridional et vient ajouter quelque chose de sinistre à ce tableau. Du fond du puits, part une galerie sinueuse qui, au bout d’une cinquantaine de mètres, aboutit à un escarpement. Tandis que M. Deprat et moi maintenons solidement la corde, M. Meynier descend au pied de cet escarpement, à environ 30 mètres plus bas. Il aboutit ainsi sur le bord d’une diaclase au fond de laquelle, à 4 ou 5 mètres en contrebas, s’écoule un ruisseau souterrain important. Malheureusement, cette diaclase, formant un angle droit avec la galerie dans laquelle nous nous trouvons, M. Meynier ne peut s’y engager, car la corde à laquelle il est attaché se coincerait dans la diaclase et il nous serait impossible de le remonter ; force lui est donc de rétrograder. Mais lorsqu’il s’agit à nous deux, de l’extraire du gouffre, tous nos efforts furent vains, car, dans la galerie étroite où nous nous trouvions, nous étions très mal placés pour développer la force de traction nécessaire ; il nous fallut donc demander du renfort, et M. Bresson étant descendu à notre aide, il nous fut possible, à nous trois, mais non sans peine, de ramener M. Meynier près de nous. La profondeur totale atteinte avait été d’environ 115 mètres en verticale. La pose des échelles et la descente avaient pris plus de 4 heures ; il en fallut presque autant pour remonter, car les petites plates-formes qui existent dans les parois du gouffre, rendent impossible la transmission des cordes de la surface au fond ; nous dûmes donc nous échelonner, successivement sur ces plates-formes ; plusieurs fois même, il fallut que l’un de nous, attaché à une seule corde, se fit remonter, pendant plusieurs mètres, pour dégager l’autre corde, prise dans les rochers ou dans les barreaux de l’échelle. Nous avions commencé la descente à 8 heures du matin ; ce n’est qu’à 15 h 30 de l’après-midi, que nous étions tous revenus à la surface.

 

 

photographie publiée pour la première fois dans L’Almanach du Petit Comtois pour l’année 1900

Elle a été reproduite dans  « Spéléologie, hygiène et fertilité », par L. Reverchon, in Cosmos, n°919, 1902, p.292.

Le 7 mai 1899, nous revenons à la charge avec un matériel complet, comprenant même un bateau Osgood, en vue d’une navigation éventuelle sur la rivière reconnue lors de l’excursion précédente. Je descends au fond du premier puits, en compagnie de MM. Deprat, Coppey, Meynier et Rémond. Nous parcourons rapidement la galerie sinueuse de 50 mètres ; nous fixons l’échelle à un tronc d’arbre placé en travers de cette galerie et MM. Meynier et Deprat descendent dans la diaclase où coule le ruisseau. Ce ruisseau est important, son courant est rapide ; il coule au fond d’une galerie étroite, mais très élevée. MM. Meynier et Deprat suivent son cours pendant une centaine de mètres et aboutissent enfin à une salle, d’une dizaine de mètres de diamètre, où le ruisseau forme un petit lac, dont l’eau s’infiltre dans des fissures impénétrables à
l’homme ; aucune galerie nouvelle ne part de cette salle : l’exploration est donc terminée, et l’on peut constater que, même si, par une sécheresse exceptionnelle, le ruisseau tarissait complètement, il ne paraît pas probable que l’on puisse trouver d’autres issues pénétrables. La surface du lac se trouve à environ 135 mètres au-dessous du niveau de l’orifice du puits. Les eaux du ruisseau souterrain vont ressortir dans la vallée de la Loue, à la source du Maine, près de Cléron, à celle de l’Ecoutot, et aussi, assez vraisemblablement, à celle du Moulin des lies. Les habitants de Montrond prétendent qu’un collier de cheval, tombé dans le gouffre, fut retrouvé, quelque temps après, dans la Loue ; bien que l’on raconte, sur tous les grands gouffres, des légendes analogues, le fait n’a rien ici d’impossible à priori. La galerie de la rivière n’était pas pénétrable plus loin, l’Osgood, que nous avions descendu dans le premier puits, devenait inutile : nous nous mettons en mesure de le faire remonter, en l’attachant à deux cordes fixées l’une à l’avant, !’autres à l’arrière : il rencontre en route un bloc en saillie, les cordes s’engagent sans doute l’une d’un côté, l’autre de l’autre, toujours est-il que nos compagnons restés à la surface sont impuissants à la remonter. Mais une cinquantaine d’habitants de Montrond, qui étaient venus assister à la descente, joignent leurs efforts aux leurs et font si bien qu’ils déracinent le bloc pesant bien 200 à 300 kilos, qui s’abîme dans le gouffre ! Comme dans l’exploration précédente, nous nous étions échelonnés sur les plates-formes pour la remontée, et quatre d’entre nous se trouvaient encore au pied de l’à-pic de 80 mètres! Ceux qui étaient à la surface, voyant le bloc se détacher, poussent un cri d’effroi terrible ; instinctivement, nous nous aplatissons littéralement contre la paroi, ne sachant d’ailleurs au juste de quoi il s’agissait : nous eûmes immédiatement l’idée que quelqu’un s’était laissé tomber dans le puits et, pendant quelques secondes de chute du bloc, nous nous attendions à voir passer devant nous un des nôtres : soudain le bloc passe à quelques centimètres de nous, avec le bruit d’un obus qui fend les airs, bruit comparable à celui que fait un gros oiseau qui vole ; il va s’écraser contre la paroi en face, éclatant en mille morceaux et nous criblant de ses débris ; un fragment atteint Meynier à la jambe et le blesse cruellement, sans produire heureusement de facture ; un petit éclat à peine gros comme une noix vient passer à quelques centimètres de ma figure, traversant le bord de mon chapeau de feutre, en sifflant comme une balle. Nous sommes tous plus ou moins contusionnés par les ricochets qui pleuvent de toutes parts. Cette terrible alerte n’avait duré qu’un temps infime, comparé à celui qu’il faut pour l’écrire, mais ces quelques secondes nous parurent longues et angoissantes à tous … Personne, heureusement n’est gravement atteint ; nous le crions à ceux de la surface pour les rassurer, mais tout en accompagnant l’annonce de cette bonne nouvelle d’imprécations dépourvues d’aménité mais non d’énergie, et la remontée s’achève sans nouvel incident.

De même que dans les gouffres décrits précédemment, on peut observer, dans le Puits de la Belle Louise, une coupe géologique intéressante. L’ouverture est dans la Dalle nacrée (Bathonien supérieur), le reste du premier puits se poursuit dans le Bathonien moyen (Forest-Marble et Grande Oolithe). La galerie sinueuse correspond à un lit calcaréo-marneux du Vésulien ( Bathonien inférieur). Le dernier gouffre et la diaclase où
circule le ruisseau sont creusés dans les calcaires oolithiques du Fuller’s earth (Vésulien), le lac correspond vraisemblablement aux bancs marneux qui marquent fréquemment la base du Bathonien, près de son contact avec le Bajocien. L’entrée étant à 460 mètres environ d’altitude, la surface du lac terminal se trouve à peu près à 325. La source du Maine est à une altitude qui ne dépasse guère 300 mètres ; il n’y a donc qu’une dénivellation d’une vingtaine de mètres dans le lac terminal et sa résurgence qui, à vol d’oiseau, est distante d’environ 5 ki lomètres ; le parcours réel souterrain représentant vraisemblablement une longueur au moins double, il en résulte que la pente moyenne du cours d’eau (2 m par kilomètre environ) n’est pas considérable.

Pause dans le Bois de Montrond

 

 

 

 

 

 

La page MATERIEL avec notre expert, 

le professeur E. FOURNIER 

extrait de l’ouvrage « Les Gouffres » , 1923

Eclairage :
Le seul mode d’éclairage pratique est la bougie et, pour illuminer les grandes salles et les voûtes élevées, le ruban de magnésium. Les lampes électriques et les lampes à acétylène sont des impedimentas qui ne sont de mise que dans les grottes aménagées ou dans celles complètement connues, où l’on est assuré à l’avance de ne rencontrer aucun obstacle un peu sérieux. Dans l’exploration des rivières souterraines, chacun doit être muni de plusieurs flacons à bouchons paraffinés et à large goulot, renfermant des allumettes et du papier de verre pour les frotter ; les bougies, que l’on peut toujours repêcher lorsqu’elles tombent à l’eau, car elles flottent, offrent ici encore, tous les avantages sur tout autre mode d’éclairage.

Communication :
Les téléphones portatifs, tels que par exemple, le téléphone magnétique de Branville (système Aubry), sont les seuls utilisables sous terre. Il faut avoir soin de placer le câble téléphonique à une distance aussi grande que possible de la paroi du gouffre le long de laquelle s’effectue la manœuvre des cordes et des échelles, dans lesquelles le câble est susceptible de s’embrouiller, désagrément parfois si difficile à éviter que, dans certains gouffres, on peut remplacer avantageusement le téléphone par une corne d’automobile, avec laquelle on commande la manœuvre par signaux conventionnels.

Topographie                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

Un baromètre altimétrique, spécialement gradué suivant les régions où l’on opère, et une bonne boussole sont nécessaires pour dresser la coupe et le plan schématique des cavités parcourues.

Rivière :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

Les bateaux démontables les plus employés pour les navigations souterraines sont : l’Osgood et le Berthon.

L’embarcadère, au fond du puits, à -57 m. Louis Armand est à gauche, derrière l’Osgood, et Clément Drioton est à droite, derrière le Berthon.

Photo E.A. Martel
(publiée par C. Drioton dans Sciences, Arts, Nature n°209, 28 octobre 1905)
Collection Daniel André (précédemment coll. Louis Armand)

 

L’Osgood a le fond plat ; il se démonte complètement et par suite peut passer presque partout, mais le Berthon a le grand avantage de se plier et de se déplier avec une très grande rapidité. Dans certaines rivières souterraines, dont le lit est accidenté de rocs corrodés aigus et tranchants, la fragilité des bateaux de toile comme l’Osgood ou le Berthon rend leur emploi dangereux ; on les remplace alors avantageusement par des radeaux improvisés. On obtient par exemple un excellent radeau, en réunissant deux tonnelets par de solides traverses de bois, sur lesquelles on se place à califourchon, ce qui présente le léger inconvénient d’obliger à rester pendant toute l’exploration, immergé dans l’eau jusqu’à la ceinture. Cet inconvénient paraît d’ailleurs bien minime, si l’on songe qu’il est bien rare d’achever une exploration de rivière souterraine sans avoir été gratifié d’un ou de plusieurs bains complets. Il n’est pas prudent de placer plus de deux passagers à la fois dans un Berthon ; aussi, doit-on se munir de longues cordelettes pour établir un va et vient sur les biefs profonds nécessitant l’emploi du bateau, et pour permettre d’effectuer ainsi, successivement, le transport des explorateurs.

(extrait du site de Frachon, http://juraspeleo.ffspeleo.fr)  Pour entreprendre l’exploration des rivières souterraines franc-comtoises, le professeur Eugène Fournier  (1871-1941) se dota dès 1904 d’un canot pliable de type Berthon, qui équipait la marine nationale. Le 15 janvier 1904, il écrivait à son collègue E.A. Martel: « J’ai bien reçu le bateau. Je vais l’essayer dès dimanche dans la fameuse grotte des Planches à Arbois » (comm. inédite de D. André, Association E.A.Martel). Par chance, ce bateau a pu être conservé, jusque dans les années 1970, au local du Groupe Spéléologique du Doubs, dans la ‘Tour de la Pelote’ à Besançon. Il est depuis exposé à la grotte aménagée des Planches-près-Arbois (Jura). Curieux hasard qui a fait revenir ce bateau, trois quarts de siècle plus tard, sur les lieux où il a vogué pour la première fois !

 

Combinaison                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

Le vêtement le plus pratique est le vêtement de toile, qui sèche rapidement et n’est pas trop pesant lorsqu’il est mouillé.

Chaussure                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

Lorsque l’exploration ne comporte que des parcours en rivière, les espadrilles sont recommandables, car elles permettent de nager plus librement : mais cette chaussure n’est pas pratique s’il y a, en outre, des galeries sèches à parcourir et des escarpements à escalader.

Transports 

A la baraque aux violons

A la gare de Salins